AVIS D’EXPERT
La directive CRD IV communément appelée Bâle 3, peut-elle être à l’origine d’une crise financière du type des “subprimes” du fait de mécanismes tels que le “deleveraging”?
Mais aussi compte tenu du caractère très européen de cette mise en œuvre n’est-on pas en train de restreindre la croissance des banques françaises en comparaison des banques américaines notamment?
Pour répondre à la première question, il convient de comprendre ce qui change avec la nouvelle directive dite Bâle3 ainsi que le mécanisme du “deleveraging” qui en résulte
Comprendre ce qui change avec la nouvelle directive par rapport aux accords dits de Bâle 2
Pour ce qui est de l’objectif, la nouvelle directive vise à renforcer non seulement la qualité, mais aussi le niveau des fonds propres. Les catégories de fonds propres ont été revues et affinées.
C’est ainsi que l’on est passé de 3 catégories de fonds propres (fonds propres de base, fonds propres complémentaires, fonds propres “surcomplémentaires”) vers 5 catégories (fonds propres de base de catégorie 1, fonds propres additionnels de catégorie 1, fonds propres de catégorie 2, coussin de conservation des fonds propres, coussin de fonds propres “contracycliques”), avec des exigences minimales renforcées sur une période de transition (2013 à 2019)et ce particulièrement pour les fonds propres de catégories 1 ainsi que les coussins.
Toujours dans le but d’améliorer la résilience des banques, et donc limiter les tensions financières et risques de défaillances des établissements, des dispositions particulières ont été prise en rapport avec le risque de liquidité à court et à long terme.
Dans il le cas du risque de liquidité à court terme (LCR : Liquidity Coverage Ratio) il s’agit pour les banques de disposer d’actifs de “haute qualité” et liquides, permettant de couvrir les flux nets de trésorerie sortant à venir sur les 30 prochains jours
Dans le cas du ratio de liquidité à long terme, dispositif venant en complément du LCR, il s’agit de réduire les asymétries de financement, à savoir la transformation des ressources à court terme en emplois longs. En d’autres termes, pour prêter à long terme il faudra disposer des ressources stables correspondantes (notamment les dépôts de la clientèle à long terme…).
Tout ceci représente un arsenal certes sécurisant mais ce double étau du ratio de solvabilité fortement durci et des ratios de liquidité réduit fortement la capacité des banque à financer l’économie, voire même les contraint à réduire le taille des actifs et donc le montant total des concours (crédits…) accordés à l’économie pour rester dans les clous.
Un des mécanisme pour ce faire consiste à céder ces actifs (crédits…) à des tiers au travers de plusieurs véhicules (titrisation, CDO, dérivés de crédits…)
Comprendre le mécanisme du deleveraging
Cette pression sur les ratios entraîne une évolution dans les business model des banques marqué notamment par l’origination qui consiste à mettre en place les financement pour l’économie suivi assez rapidement de la distribution de ces crédits auprès d’investisseurs pour être en ligne avec les contraintes définies par le régulateur. C’est un modèle que les acteurs de la profession ont appelé « origination-distribution».
Outre le fait que cela condamne quasiment les établissements à s’habituer à vivre avec un total bilan plus réduit ou en gros à être des banques de taille plus réduite que ce permis par le cadre des accords de Bâle 2, ce état de fait accélère la diffusion de ces crédits auprès d’investisseurs qui n’ont pas forcément la maîtrise ni la possibilité de surveiller la qualité de ces actifs.
Ces actifs peuvent par ailleurs être encapsulées dans des vecteurs (fonds voire fonds de fonds…) qui rendent très difficile le suivi des actifs qui les composent.
Comment est-ce que le deleveraging peut-il être à l’origine d’une crise financière du type des subprimes?
De la même manière que les créances immobilières dites “subprimes” se sont retrouvées largement réparties dans les bilans des banques et autres portefeuilles détenus par d’autres types d’investisseurs, les créances ainsi distribuées de fait dudeleveraging, vont garnir les portefeuilles un peu partout dans le monde, compte de l’intégration globale très avancée du monde financier.
Il suffirait alors que des actifs significatifs et se révèlent par la suite toxiques pour reproduire un mécanisme proche de ce que l’on a pu vivre lors de la crise des subprimes. Même si l’on considère que les banques Européennes sont intrensèquement armées pour faire face du fait des nouvelles règles, elles restent toutefois exposées au risque systématique déclenché outre atlantique, car à ce jour les USA n’ont pas décidé de la mise en œuvre des accords de Bâle 3. Compte tenu de la forte interdépendance des grands établissements bancaires au travers des prêts et emprunts interbancaires notamment, mais aussi du fait d’autres instruments, il pourrait en résulter un effet domino fortement dommageable.
Les banques européennes pourraient aussi devenir des proies plus faciles pour les prédateurs venus d’outre atlantique
Dans la mesure où les banques européennes vont en large partie réduire la taille de leur bilan, mécaniquement elles seront à la portée de prédateurs qui auront moins d’argent à mettre sur la table pour en prendre le contrôle.
Au-delà de ça on se retrouve surtout dans une course à handicap où tous les bons élèves sont non seulement pénalisés par rapport au reste de la classe car empêchés de développer tout leur potentiel, tout en s’exposant à la sanction collective si les “cancres” tirent la moyenne générale vers le bas
Comment se prémunir de tels risques?
Ceci nécessite de pouvoir analyser le détail des actifs constitutifs notamment des fonds communs de créances, avec la difficulté de devoir analyser des fonds de fonds dans de nombreux cas. Il faut non seulement pouvoir gérer des référentiels extrêmement complets, mais aussi une masse d’information importante.
Il est possible que des solutions autour des problématiques de “Big Data” puissent progressivement venir au secours de ces enjeux.